12
Ils se retrouvèrent bientôt attablés à la terrasse d’un café. Mathieu avait commandé des boissons et des sandwichs qu’ils attaquèrent avec entrain. Ce qu’ils venaient de vivre avait transformé leur relation. Ils étaient liés par le moment intense qu’ils avaient partagé mais, encore abasourdis, avaient du mal à en parler.
— Je ne partirai pas avec vous, annonça finalement Mathieu.
— On t’a dit que tu n’avais pas le choix, intervint Salim du tac au tac.
Camille le fit taire en posant une main sur son bras.
— Pourquoi ? demanda-t-elle simplement.
— Parce que je ne suis pas celui que tu pensais trouver, expliqua Mathieu. Le don que je possède, et qui me paraissait hier si formidable, n’est rien à côté de ton pouvoir. Je suis incapable de sauver qui que ce soit.
Il laissa s’écouler quelques secondes avant de continuer :
— J’ai peur aussi. L’inconnu ne m’attire pas, au contraire. Je suis bien ici, je fais des choses formidables. Je ne veux pas m’exiler.
— Et nos parents ? insista Camille en plantant ses yeux dans les siens. Tu n’as pas envie de les retrouver ?
Il hésita et inspira longuement avant de répondre.
— J’ai des parents. Un père et une mère qui m’ont accueilli et me chérissent comme leur propre fils, alors que ceux dont tu parles sont des inconnus, peut-être morts depuis des années. Ce que tu me proposes, et je suis désolé si cela te blesse, ressemble à la poursuite d’une chimère.
— Pourtant tu as reçu le message du chuchoteur ! le pressa Camille.
Le visage de Mathieu se teinta de compassion.
— Ce n’est qu’un animal, objecta-t-il d’une voix douce. Doté de pouvoirs psychiques sans doute, mais pour le reste guère différent d’une souris. Tu ne peux tout de même pas te fier aux dires d’un rongeur !
Camille accusa le coup. Elle était intimement convaincue que leurs parents étaient vivants. Leur mère lui avait parlé et, à travers chacun de ses mots, elle avait senti la présence de leur père. Elle en était convaincue, même si elle ne parvenait pas à en persuader Mathieu. Il était heureux, lui, et cela faisait toute la différence entre eux. Elle ferma son esprit au chagrin qui pointait son nez. Elle pleurerait plus tard ce frère à peine entrevu, pour l’instant elle avait des amis à secourir. Elle se leva.
— Que fais-tu ? s’étonna Mathieu.
— Je m’en vais. Je n’ai plus rien à faire ici, et parler plus longtemps avec toi rendrait notre séparation trop douloureuse. Je préfère ne pas te connaître davantage puisque nous ne nous reverrons certainement jamais. Je te souhaite beaucoup de bonheur… mon frère.
Mathieu sursauta. Tout se déroulait trop vite. Il ouvrit la bouche pour la rappeler, pour se justifier, mais elle lui avait déjà tourné le dos et s’éloignait. Salim se leva à la hâte. Il contempla Mathieu, effondré sur sa chaise.
— Pas sûr que ce soit le bon choix, vieux ! lança-t-il. C’est vraiment chouette, là-bas…
Il lui tapota gentiment le bras et partit en courant à la poursuite de Camille.
Il la rattrapa alors qu’elle pénétrait dans une ruelle. Au bruit de sa course, elle se retourna et l’attendit. Lorsqu’il parvint à sa hauteur, il voulut parler mais elle le fit taire d’un geste.
— Écoute-moi, Salim. Je vais rejoindre Edwin, Bjorn et les autres. Nous allons nous battre pour rejoindre les Figés et quand nous les aurons trouvés, je les éveillerai. Je sais que j’ai le pouvoir de le faire. Ce sera difficile, Gwendalavir est un monde que nous connaissons mal, et c’est un monde en guerre. Dans une semaine, je serai peut-être morte et si je survis, il y a très peu de chances que je revienne un jour.
— Je sais.
— Et tu veux tout de même m’accompagner ?
— Oui.
— Pourquoi ?
— …
— Tu ne veux pas m’en parler ?
Un ange passa et Salim réussit à briser le silence.
— Eh, ma vieille, tu crois vraiment que ta mère est vivante et qu’elle se sert du chuchoteur pour te parler ?
Camille sourit en caressant la bestiole au travers de sa poche.
— Je ne crois pas, j’en suis sûre.
— Génial ! s’exclama Salim avec conviction. Et si on y allait maintenant ? Plus rien ne nous retient ici.
— Si, une dernière chose à dire.
— Vas-y alors.
— Salim ?
— Oui ?
— Moi aussi !
Un grand sourire incrédule se peignit sur le visage du garçon, mais déjà Camille avait saisi sa main.
Il n’y eut aucun bruit.
Aucune lumière.
Dans la ruelle, il n’y avait plus personne.
FIN